Une société du document

André Tricot

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Résumé :
National audience
« Le document n’est que le moyen de transmettre des données, informations à la connaissance des intéressés éloignés dans le temps et dans l’espace, ou dont l’esprit discursif a besoin qu’on lui montre les liens intelligibles des choses » (Otlet, 1934, p. 25). La théorie du document doit beaucoup à Paul Otlet (1934) qui a défini le document comme remplissant une fonction de mémoire et une fonction de communication. Elle doit aussi beaucoup à Suzanne Briet (1951, p. 7), pour qui « un document est une preuve à l’appui d’un fait ». Ainsi, selon Michael Buckland (2017), parler de la société de l’information est un pléonasme. Toutes les sociétés animales sont nécessairement des sociétés de l’information. Les sociétés humaines se distinguent d’autres sociétés animales depuis au moins 40 000 ans parce qu’elles sont des sociétés du document. Ainsi, pour comprendre ce que les humains font avec les documents et ce que les documents font aux humains, nous avons besoin d’une théorie de la mémoire et d’une théorie de la communication. Une théorie du document devrait nous permettre de faire des hypothèses cohérentes sur la fonction des dessins dans la grotte de Lascaux, comme sur ce qui se passe avec le Web aujourd’hui. À la suite de nombreux auteurs (Xu & Chen, 2006 ; Lemarié et al., 2008 ; Tricot & Comtat, 2012 ; Chemla & Virbel, 2015), Tricot et al. (2016) ont considéré que la théorie de la communication la plus adéquate était la théorie de la conversation de Grice, telle que reprise par Sperber et Wilson (1986). Cette théorie du document tient en sept points.1.Pour comprendre et expliquer les documents, nous devons décrire à quoi ils servent. Leur fonction est plus importante que leur essence.2.Une fonction du document est la communication : il permet aux humains d’échanger même quand ils ne sont pas co-présents. Il pallie les difficultés de relation à autrui liées à l’espace.3.Une fonction du document est la mémoire : il permet de conserver, de garder trace. Il pallie les difficultés de relation à autrui et à soi-même, liées au temps.4.La fonction de fiabilité du document se situe à l’intersection entre mémoire et communication. Il permet en effet de garantir, de témoigner, de prouver.5.Le document s’inscrit dans une situation finalisée : quand le lecteur décide de lire un document ou de ne pas le consulter, c’est toujours en lien avec une situation précise. Ce qu’il comprend, ce qu’il va faire avec ce document, est toujours dépendant de cette situation.6.Le décalage dans le temps et dans l’espace entre le lecteur et l’auteur a comme conséquence que toute relation documentaire est soumise à une accentuation des biais de communication qu’il est plus difficile de détecter, de réguler et de corriger. L’accentuation de ces biais constitue la raison pour laquelle la fiabilité a nécessairement une place centrale dans une théorie du document.7.L’approche rationnelle ou même idéale présentée ici est avant tout méthodologique : nous ne présumons aucunement que le document parvient pleinement à réaliser les fonctions de communication et de mémoire qui lui sont dévolues.Au cours de cette présentation je discuterai de cette théorie et de ses évolutions récentes, notamment depuis la publication de Hugo Mercier (2020) sur la crédulité.
Date de publication : 2023-06-12
Type de document : Communication dans un congrès
Affiliation : Dynamique des capacités humaines et des conduites de santé (EPSYLON) ; Université Paul-Valéry - Montpellier 3 (UPVM)

Citer ce document

André Tricot, « Une société du document », Jecis, 2023-06-12. URL : https://hal.science/hal-04199825