Claude Simon. L’écriture cinématographique
Bérénice Bonhomme
Abstract :
International audience
Cette étude tente de mettre au jour les liens complexes de Claude Simon à l’écriture et à l’image cinématographique.L’œil est un passage obligatoire pour l’œuvre simonienne et il est aussi cet instrument de création qui fonde l’élaboration d’une écriture puis d’une vision cinématographique du monde. L’écriture cinématographique se situe au carrefour de plusieurs modes d’expression, lesquels se nourrissent de leur mise en synergie. Cette complexité influe sensiblement sur les cadres génériques au sein desquels elle se déploie. Cette analyse cherchera à mettre en lumière ce dialogue toujours renouvelé entre écriture et réalisation filmique afin de montrer dans quelle mesure le passage d’un langage à un autre influence notablement le processus créatif chez Claude Simon.L’Harmattan, 2005PréfaceC’est Claude Simon lui-même qui, dès 1961, fait confidence de cette constante d’une œuvre romanesque déjà bien engagée : « Mon ou mes narrateurs se trouvent toujours dans une position d’observateur aux connaissances et aux vues bornées ». Écho d’un débat connu, et néanmoins pierre de touche. Mais l’essentiel, ici, est dans ce qui s’ensuit : « C’est probablement cette conception du roman totalement subjective, qui m’a conduit à un mode de travail assez proche des méthodes employées au cinéma. »L’ouvrage que l’on va lire n’est autre – mais l’étude, à notre connaissance, n’avait jamais été aussi résolument conduite – que l’amplification argumentée et illustrée de cette confidence d’auteur. Quid, en effet, desdites « méthodes » qu’emploierait le cinéma et que l’écrivain Claude Simon ferait siennes par les seuls outils de la plume et du papier ? C’est à cette question que tente ici de répondre Bérénice Bonhomme, théoricienne et praticienne de l’écrit autant que de l’image, à partir d’un corpus simonien particulièrement probant – La Route des Flandres (1960), Le Palace (1962) et Triptyque (1973) – et d’autant mieux choisi que Claude Simon lui-même envisagea le « passage » à l’écran de deux des textes analysés : passage inabouti, comme l’explique l’auteur, pour ce qui est de La Route des Flandres, mais bel et bien accompli pour ce qui concerne Triptyque : un court métrage réalisé en 1975 pour la télévision allemande, Die Sackgasse (on pourra toujours s’amuser du fait que le seul « passage » effectué par Claude Simon s’intitule L’Impasse, en bon français le cul-de-sac !).Mais revenons au sujet du présent ouvrage : celui de l’« écriture cinématographique » de Claude Simon. La question n’est pas sans difficultés théoriques (une impasse ?!) et tout d’abord celle-ci : l’épineuse question de la métaphore et des précautions à prendre dès lors que l’on choisit de raisonner à partir d’un vocabulaire d’emprunt : parler à l’écrit de gros plan ou de panoramique, est-ce bien pertinent, n’est-ce pas faire trop bon marché de l’essentielle hétérogénéité de deux langages ? On verra que l’approche subtile de Bérénice Bonhomme contourne de manière très convaincante ce péril.Autre difficulté : du film au roman, ce commun dénominateur, le récit. C’est ce que semble clairement accepter Claude Brémond dans son article du fameux numéro 4 de la revue Communications : « Il faut et il suffit qu’il (le récit) raconte une histoire. La structure de celle-ci est indépendante des techniques qui le prennent en charge. » À quoi Jean Ricardou répond, en ces mêmes années soixante : « Si l’essentiel du récit échappe à la narration, il va de soi, en matière de récit, que toutes techniques narratives, roman par exemple, ou cinéma, sont incapables d’innover. » L’affaire se corsant à nouveau à travers des positions du type de celle de Jean-Marie Schaeffer, lequel récuse que l’on puisse parler de récit dès lors que la perception audiovisiuelle est impliquée :Dès lors qu’une séquence est filmée, elle se donne à voir et à entendre comme une représentation perceptivement accessible d’une séquence d’actions ; dès lors qu’elle est racontée (au sens technique du terme), elle se donne à lire comme énoncée par un narrateur.À nouveau, les analyses de Bérénice Bonhomme concernant la double question des modes d’énonciation et du traitement du temps fictionnel chez Claude Simon, convainquent le lecteur de la pertinence d’une approche éclectique au meilleur sens du terme. Ici, comme là, nous ne déflorerons les analyses ni les conclusions. Nous engageons plutôt le lecteur à se laisser porter par le « suspense » d’une enquête aux focales multiples au cœur du dispositif simonien : s’y conjuguent à l’évidence visualité et voyeurisme, ce qui relève tout à la fois d’une sensibilité (l’« œil » de Simon), d’un parti-pris esthétique (une écriture « montée »), mais aussi d’une sorte d’évidence (ou de fatalité) anthropologique.Voici, en effet, plus d’un siècle et demi que photographie, puis cinéma, ont, selon toute vraisemblance, refondé le regard humain. Qu’il y ait eu des images avant ce double avènement ? Certes, mais tellement moins universellement prégnantes ! Qu’on se souvienne : ce fut sur la seule foi d’une pièce de monnaie, anecdote formidablement emblématique, qu’un quidam reconnut son roi lors de la fameuse nuit de Varennes ! D’une certaine façon, l’omniprésence des images, c’est-à-dire avant tout le spectacle permanent d’espaces cadrés – la photographie – et de cadres en évolution – le cinéma –, est le moteur de cette refondation. Ce que Claude Simon, cité par Bérénice Bonhomme, formule avec une grande simplicité :Comme pour tous, le cinéma a enrichi la vision que nous avons des choses (il se trouve que Claude Simon est également homme de photographie). Et naturellement cette nouvelle façon de voir se retrouve dans ce que j’écris.Nous allons voir comment !Paul LÉON Maître de Conférences Université de Nice, CTELTable des matièresPréfaceIntroductionI. Caméra au poingA. - Exploration visuelle1. -L’importance du regard2. -Vision subjective3. - Caché-retrouvéB. -Mouvement de caméra1. - Un regard mobile2. -La perte de tout repère3. -Champ/Contre-champ : l’échec d’une appré-hension totalisanteC. -Énonciation1. -Un cinéma de l’intériorité2. -Ambiguïté énonciative3. - L’œil caméra3.1. - Le personnage-caméra3.2. - Le personnage-spectateurII. Un temps de cinémaA. - Un temps phénoménologique1. -Le refus du temps des horloges2. -Un montage cinématographique3. -Un temps de la fictionB. - La spatialisation du temps1. - Traces2. -La fragmentation du mouvement3. - L’espace de la page3.1 - Cartographie3.2. - Ombres et lumières3.3. - CalligraphieC. -Un éternel présent1. -Un temps figé2. -Le participe présent3. -Une a-temporalitéIII. Échec et matA. - Le chaos : l’œil agrandi d’horreur1. - Lutte contre une réalité conventionnelle2. -Le refus du langage3. -Matérialité du texteB. - Infra-Langage1. -Intuition poétique2. -L’Inconscient3. -Un langage cinématographiqueC. -Mélimélo1.-Tout et rien2. -Le redoublement spéculaire3. -Rien que des imagesConclusionBibliographieIndexTable des Matières
Published : 2006-03-15
Citation
Bérénice Bonhomme, « Claude Simon. L’écriture cinématographique », Loxias, 2006-03-15. URL : https://hal.science/hal-04553022