Nu(e) : Entretiens sur la poésie
Résumé :
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À propos de La Revue Nu(e). Dix entretiens sur la poésie actuelleSous la direction de Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, La Lettre volée, 2012, collection Essais.Entretiens avec Henry Bauchau, Michel Collot, Michel Deguy, Antoine Emaz, Marie Étienne, Lorand Gaspar, Jacques Réda, Salah Stétié, James sacré, Esther Tellermann, Arnaud Villani.*Donner la parole à la poésie, la répercuter chaque fois qu’il est possible, discrètement et sans jamais forcer la main, retenant pour ligne de conduite à la fois l’ouverture comme disponibilité à évaluer la création présente, et la rigueur comme refus d’acquiescer au tout venant, tel semble bien être le terrain et l’horizon sur lesquels vient s’inscrire le travail toujours en cours des fondateurs de la revue Nu(e), créée en 1994 par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio. D’où l’intention nettement affirmée de faire prévaloir la diversité des expériences et des expressions poétiques au fondement de leur passion et de leur engagement. Car cette diversité aura tout autant retenu leur attention que révélé leur vigilance. Ceci afin de ne rien céder aux volontés récurrentes d’intimidation, institutionnel ou médiatique, comme aux caprices plus ou moins formalisés, mais non moins avoués, de fiefs et résidus de chapelles souvent plus préoccupés à cultiver les occultations qu’à donner à la pluralité manifeste des voix poétiques la liberté – qui ne peut se soustraire à l’évocation de ses propres gouffres – dont celles-ci sont légitimement en droit de se réclamer en tant que condition première et irréductible de leur existence.Cette attitude, faut-il insister davantage, consiste moins à chercher à éradiquer toute confrontation ou toute controverse au cœur même de ce que la poésie engage, que de créer les conditions nécessaires pour rendre possibles les débats sur les différentes approches, manières de faire, expériences et expressions. Elle offre alors à la multiplication des perspectives poétiques, à leurs approches plurielles, un espace où viennent s’articuler convergence et divergence, sans pour cela devoir consentir à en être les otages, et encore moins à demeurer captif des coups de force conduisant à l’exclusive. Si l’objet de la poésie n’existe que dans l’interrogation permanente de ce qui se tient au plus près de ce qui nous importe, encore faut-il reconnaître qu’elle implique des univers sensibles aussi singuliers que distincts, univers le plus souvent solitaires, parfois solidaires, engageant les espoirs non moins insensés qui se seront également révélés être les plus indispensables soutiens à une pensée insoumise portant sur un monde sujet à un désarroi qui ne cesse d’inquiéter.Le présent livre propose une suite d’entretiens publiés dans la revue Nu(e) depuis ses tout premiers numéros comme autant d’éclairages des d’entrelacements que dessinent notre présent saisi à travers des prismes sensibles arpentant notre rapport au monde et aux autres, quelque contradictoires, convergentes ou complémentaires que soient les vues ici exprimées. Et c’est sans doute en cela qu’elles nous sont précieuses. Puisqu’elles renvoient à ces moments d’interrogation de la parole poétique dès l’instant qu’elle fait retour sur elle-même, afin de porter regard sur ce qui est censé la constituer. Afin, également, de nous conduire vers de nouvelles questions, non sans chercher à ouvrir un espace que tout s’acharne à vouloir réduire. Car il s’agit moins de tenter de retracer de manière exhaustive la carte poétique d’une époque. Que de signaler par ces prises de parole, dans le noir des mots comme dans les blancs qui les séparent, ces interrogations, ces discussions, frontales ou sous forme de dérivation – le plus souvent conduites par un poète questionnant ou s’adressant à un autre poète – les lignes de force d’une conscience poétique qui selon toute apparence cherche à se dégager de toute arrogance soutenue par quelque certitude, comme pour mieux plonger chaque fois plus loin dans le magma de nos propres incertitudes.En raison même de la nature récente de ces entretiens, le lecteur pourrait craindre que la trop courte distance qui nous en sépare n’offre pas les garanties nécessaires pour en dégager les enjeux les plus significatifs. À commencer par les préoccupations tenues pour fondamentales, et sous-jacentes à une parole qui ne se laisse pas enfermer dans l’actualité, mais par ce qui, de sa propre inactualité, la traverse comme pour y installer un sentiment d’urgence venant nous alerter sur nos propres raisons de vivre. Car ces entretiens, depuis l’œuvre d’Henry Bauchau jusqu’à celle d’Antoine Emaz, de celle de Mahmoud Darwich à celle de James Sacré, si l’on devait arbitrairement désigner quelques expressions significatives en même temps que les écarts qui semblent les caractériser, pointent, selon des tonalités fort bien marquées, l’exigence de déployer une conscience poétique cherchant à prendre une distance nouvelle face à ce qui milite toujours en faveur de quelque embrigadement. Une manière pour la poésie d’échapper à toute théorie de service commandé qui serait sensée lui dicter ses lignes de conduite.Ce qui n’exclut d’aucune façon l’effort indispensable de devoir penser ce que la poésie engage lorsqu’elle se tourne vers un questionnement infini à la fois sur le sens et la portée de ce que nous sommes et voulons être jusqu’en nos moindres gestes. Dans cette perspective, la distinction faisant état d’une double parole trouve plus que jamais place en ces réflexions conduites en ces entretiens par les uns, les unes et les autres. Cette distinction, présente dans la plupart de ceux-ci, est reprise de manière plus explicite, peut-être, par Henry Bauchau, notamment lorsqu’il évoque, d’une part, une parole convoquée par l’ordre d’une pensée rationnelle, une pensée instrumentalisée et tenue à l’efficacité ; et, d’autre part, celle relevant « de l’événement, celle du corps, celle de l’inconscient » ; en d’autre mots, celle de la création qui est « attention, écoute, regard sur ce qui n’est pas immédiatement visible », cette vigilance se faisant attentive à toute rumeur significative lorsqu’elle cherche la voie de son expression. Car cette seconde parole, bien que de toute part refoulée, nous révèle plus que jamais son infinie pertinence dès lors que l’on tente d’échapper aux confusions intenables comme aux errements portés par l’air du temps, avec l’intention de mieux miser sur ce qui résiste, refuse et par là-même invente lorsque l’émotion et l’intuition se trouvent mobilisées.Ces entretiens ouvrent sur des discussions à la fois précises et approfondies sur ce que signifie la poésie, ou même plus largement sur la création, pour chacun des poètes ici regroupés. L’étendue des sujets abordés conduit non pas à baliser, c’est-à-dire, à circonscrire quelque chose d’improbable, mais bien à élargir l’horizon de ce qui nous est proche et tout à la fois inaccessible, pour reprendre les mots de Michel Collot, rejoignant ainsi le propos d’Antoine Emaz lorsque celui-ci, se rapportant à l’œuvre de Pierre Reverdy, rappelle que la poésie naît du manque, et pourrait-on ajouter, de l’énigme qui l’accompagne.*Nous devons à la revue Nu(e), après bientôt vingt ans d’existence et plus de cinquante volumes, d’avoir constitué avec acuité un lieu d’échange et de création prenant la forme d’un véritable atelier. Ce dont, précisément, témoignent ces entretiens, proposant dans la plupart de ces numéros consacrés à un poète en particulier, tout ce qui engage celui-ci, ce qui le retient et l’habite, tout ce qui à jamais le renvoie à ce type si singulier d’expérience, irréductible à tout autre. Et plus loin, ou plus proche, ce qui tient de l’époque dans laquelle la parole prend forme et se rend intelligible, ce qui éclaire, en partie du moins, une œuvre. Sachant qu’il s’agit, à chaque fois, de nous porter avec lucidité au-delà d’un ordre des choses toujours susceptibles de nous claquemurer dans l’appauvrissement et la dégradation de nos univers sensibles au point de nous fermer à tout horizon. L’intérêt de ces entretiens consiste à marquer un temps de réflexion distinct bien qu’indissociable de celui de la création, sachant très bien que le commentaire d’une œuvre, même lorsqu’il est le fait de l’auteur lui-même, ne sera jamais l’œuvre, mais une manière, et une occasion, d’ouvrir et de faire voir les possibilités de sens comme les lignes de fuite infinies qu’elle recèle.
Date de publication : 2013-06-12
Citer ce document
Pierre-Yves Soucy, « Nu(e) : Entretiens sur la poésie », Loxias, 2013-06-12. URL : https://hal.science/hal-04524422