Loxias | 76. Orwell dans le domaine public : retour à l’œuvre | I. Orwell dans le domaine public : retour à l’œuvre
La pensée d’un roman. Imaginaire et politique dans 1984
Résumé :
International audience
After having been despised for a long time as a propagandist, Orwell is now considered in France as a creative writer; but he is not yet recognized as the genuine political thinker he deserves to be. This paper defends the idea that 1984 develops, by the means of a novel, a very personal, acute and illuminating political thought about past, present and future totalitarian governments. Three arguments are advanced. [1] Totalitarian governments are not primarily for Orwell the effects of economic, social or ideological processes. They are the products of human wills and imaginations. So, a novel is particularly adapted to offer an understanding of the dreams and motives of their founders and leaders. [2] Totalitarian worlds are strange conjunctions of reality and nightmare. To describe his own, Orwell uses a peculiar form of fantastic realism: everything is unreal, but it is impossible, even for the most powerful tyrants, to substitute entirely their fictions for the reality. While throwing its characters and the reader in a world where reality and fiction are undistinguishable, the novel itself is written from a resolutely realist point of view. [3] 1984 contains no theoretical model. It is rather a satirical thought experiment. If we admit the existence of an historical dynamics of totalitarian governments since the epoch of Lenin and Hitler to our time, each improving the methods of its predecessors and inventing new ones according to the circumstances, the flexibility and openness of such a novel, which avoids any kind of essentialism, offers a particularly appropriated tool to face our political present and future.
Après avoir été longtemps méprisé en France comme un propagandiste, Orwell y est aujourd’hui reconnu comme un écrivain et un créateur. Mais on refuse toujours de voir en lui un penseur authentique. Le présent article défend l’idée que 1984 développe, avec les moyens d’un roman, une pensée politique originale, incisive et éclairante sur les régimes totalitaires passés, présents et futurs. Trois arguments sont ici avancés. [1] Les régimes totalitaires ne sont pas en premier lieu, pour Orwell, la conséquence de processus économiques sociaux et idéologiques : ils sont les produits de volontés et d’imaginations humaines. Ainsi, le roman semble particulièrement adapté pour offrir une compréhension des rêves et des ressorts intellectuels, psychologiques et moraux de leurs fondateurs et dirigeants. [2] Les mondes totalitaires conjuguent d’une manière singulière le cauchemar et la réalité. Pour décrire le sien, Orwell a recours à une forme particulière de réalisme fantastique : tout dans ce monde est irréel, mais il est impossible, même pour le plus puissant des tyrans, de substituer entièrement ses fictions à la réalité. Alors même que ce roman plonge ses personnages et ses lecteurs dans un monde où il est devenu impossible de distinguer la fiction de la réalité, il est lui-même est écrit d’un point de vue résolument réaliste. [3] 1984 ne contient aucun modèle théorique. C’est une expérience de pensée satirique. Si l’on admet qu’il existe depuis l’époque de Lénine et Hitler jusqu’à nos jours, une dynamique historique des régimes totalitaires, chacun perfectionnant les méthodes de ses prédécesseurs et en inventant de nouvelles, la souplesse et l’ouverture d’un pareil roman, qui évite toute espèce d’essentialisme, offre un outil particulièrement approprié pour affronter notre présent et notre futur politiques.
Date de publication : 2022-03-15
Citer ce document
Jean-Jacques Rosat, « La pensée d’un roman. Imaginaire et politique dans 1984 », Loxias, 2022-03-15. URL : https://hal.science/hal-04309213