« Soul Sisters » ? « Différences connectées », dialogues diasporiques et poétiques queer intersectionnelles dans les échanges entre Audre Lorde et les féministes afro-allemandes
Résumé :
International audience
En 1992, la poétesse afro-allemande May Ayim (1960-1996) écrit dans le poème « Soul Sister », en hommage à Audre Lorde: « nous pleurons la mort d’une grande poétesse noire/ d’une sœur amie et compagne de lutte/ son action continue à vivre dans ses œuvres/ nos visions/ portent les expériences/ de ses mots ». À divers égards, la rencontre d’Audre Lorde avec des femmes Noires allemandes à Berlin dans les années 1980 peut être considérée comme un moment de « déclic » (« snap », selon le concept de la philosophe queerféministe Sara Ahmed) et de « transformation du silence en langage et en action » pour celles qui alors – continue le poème – « ont collectivement forgé avec AUDRE LORDE/ le concept Afro-allemand.e/ […] car nous ne connaissions aucun nom par lequel nous-mêmes nous nommer ».Or, si ces séjours berlinois d’Audre Lorde ont été en partie documentés par le film de Dagmar Schultz, Audre Lorde. The Berlin Years 1984 to 1992 (2012), et ont fait l’objet de quelques recherches anglophones et germanophones, l’histoire matérielle, intellectuelle et intertextuelle de ces échanges, de leurs modalités et de leur portée, reste, d’une part, peu thématisée dans le contexte francophone (où Lorde est essentiellement analysée par rapport au contexte étasunien) et d’autre part, elle est souvent interprétée au seul prisme de l’influence exercée par Audre Lorde – à la fois en tant qu’activiste et créatrice – sur la formation du mouvement afro-allemand.En se plaçant sous le signe d’une expression (« connected differences ») tirée de la préface rédigée par Audre Lorde pour la traduction de l’anthologie Farbe bekennen (« Annoncer la couleur »), co-éditée par May Ayim et Katharina Oguntoye en 1986, publiée en anglais sous le titre Showing Our Colors. Afro-German Women Speak out (1992), cette communication se propose d’interroger ces archives et stratégies collectives un peu différemment, de manière plus oblique – c’est-à-dire en un sens queer –, en recréant non pas l’histoire toute tracée – straight – de l’influence d’une grande figure « maternelle » sur la naissance d’un mouvement féministe, mais en explorant la manière dont ces échanges ont permis de diversement poétiser et politiser les « différences connectées » qui ont relié Lorde et ses « soul sisters » afro-allemandes. À l’aune de son concept d’« interdépendance », mis en avant pour le colloque, il s’agira de considérer comment ces « conversations » berlinoises « autour d’une table de cuisine » – pour reprendre une métaphore centrale du Black feminism et queer feminism of color – ont aussi « transformé » la vision de Lorde – notamment dans son rapport aux diasporas noires européennes –, en s’intéressant à la manière dont ses textes de l’époque « portent les expériences » des camarades afro-allemandes. D’autre part, en s’appuyant sur une analyse comparatiste des publications entourant ces échanges, à la fois polyphoniques et plurigénériques (autobiographiques, essais, poésies, entretiens, mais aussi traductions), et en interrogeant la productivité de la prise de parole depuis « la marge » (bell hooks) des « sisters outsiders » afro-allemandes, ainsi que leur inscription dans des communautés, mémoires et imaginaires diasporiques queer (Fatima El-Tayeb), il s’agira de montrer comment, loin de simplement traduire ou transposer un modèle africain-américain, elles ont, par un dialogue créatif avec l’œuvre de Lorde, qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, travaillé à s’émanciper, en les « désorientant » (Sara Ahmed), de certains récits dominants pour mieux ouvrir la voie et la « voix » (Amandine Gay) à une (contre-)histoire et (contre-)mémoire intersectionnelles, dans le contexte de la « réunification » allemande et de la nouvelle « communauté » européenne dont celle-ci « annonçait la couleur », en mettant en œuvre des poétiques diasporiques queer à l’intersection de multiples questionnements et aux résonances toujours contemporaines.
Mots-clés :
Audre Lorde, Black feminism, Queer, Diaspora, Intersectionnalité, féminisme afro-allemand, May Ayim, Katharina Oguntoye
Date de publication : 2023-04-27
Citer ce document
Marie-Pierre Harder, « « Soul Sisters » ? « Différences connectées », dialogues diasporiques et poétiques queer intersectionnelles dans les échanges entre Audre Lorde et les féministes afro-allemandes », Audre Lorde, 2023-04-27. URL : https://hal.science/hal-04075586