Mémoire du corps et mémoire du sujet dans la modification corporelle
Résumé :
International audience
Dans le cadre de ce colloque, et en tant que psychologue clinicien d’inspiration psychanalytique, il m’a semblé intéressant de proposer quelques réflexions embrassant les questions du corps et du savoir. Et c’est à partir d’une approche de modifications corporelles telles que les piercings, les tatouages et les implants, que je me suis proposé de le faire.Pour le psychologue clinicien que je suis, le corps se déploie selon trois dimensions, empruntées à la conceptualisation de Jacques Lacan et identifiées comme constituant la vie psychique, à savoir :le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique. Le Réel du corps concernerait un pur corps de sensations, de ressentis, et dont nous avons bien du mal à dire quelque chose, parce qu’il nous dépasse, excède la capacité des mots à retranscrire exhaustivement ce qui s’y déroule. En cela, le Réel du corps est au-delà du langage. Le corps Imaginaire renvoie lui à l’image que nous avons de notre corps, laquelle image a pour responsabilité de nous représenter auprès de l’autre. Il nous sert d’interface avec l’autre, et c’est conséquemment le corps du moi, visé et concerné par l’esthétique, la mode, la vêture. Le corps Symbolique enfin renvoie au fait qu’un corps, ça se parle, et c’est parlé.Au-delà de son efficacité descriptive, le langage se traduit par des effets concrets, physiques, sur le corps. Le corps Symbolique évoque ainsi la manière dont le langage vient marquer le corps, l’habiter, le travailler.Chaque sujet humain voit son existence jonchée d’événements et d’épreuves. Ces moments peuvent constituer la matrice de ce que nous appelons « l’expérience », certes, mais également d’une certitude. Le sujet y apprendrait en effet quelque chose « sur lui-même ». Or, la psychologie clinique nous enseigne que certains sujets se livrent icià un acte, une scansion, en procédant à une modification corporelle. Une célébration qui entend prélever un moment fort de leur existence, discriminé ainsi du flot du temps qui passe. Un événement (examen, rencontre amoureuse, épreuve difficile, naissance, pacte amical, promotion sociale,) qui trouve ainsi à s’éterniser dans la chair, ou du moins à la remanier. Un peu comme si l’être humain craignait d’oublier, que ne s’évanouisse un de ces moments vécu comme majeur, mais dont le sujet ne parvient d’ailleurs pas toujours à dire pourquoi il l’est.Or, si ces moments sont si importants pour le sujet, au point d’en conserver un repère sur la géographie de son corps, propre à raviver le souvenir d’un tel événement, peut-être n’est-ce pas par hasard : quelque chose de viscéralement attaché à l’intimité du sujet serait là engagé, dans les méandres de l’inconscient, articulant des enjeux et problématiques au coeur même de la vie psychique. Pour le dire autrement, quelque chose qui serait lié à un certain savoir sur lui-même, souvent obscur, mais auquel une référence s’établirait ici et dont il voudrait pouvoir se souvenir, « l’écrivant » sur le corps, le hissant à la surface de sa peau.Mais n’est-ce pas là le témoignage d’une incapacité à « dire », à laquelle se substituerait un acte ?Or la modification corporelle, au-delà de l’acte même, « fait parler ». Et c’est en parlant que le sujet, finalement, en vient à nouer des liens avec l’autre, à prendre une place dans le monde social et à parler de lui (ce qui relève des registres Imaginaire et Symbolique). Il peut évoquer alors une vérité sur lui-même qu’il pense avoir cernée, et qu’il se propose d’assumer en déployant un discours sur son corps modifié.
Date de publication : 2008-10-09
Citer ce document
Julien Léon, « Mémoire du corps et mémoire du sujet dans la modification corporelle », Corps et savoir, 2008-10-09. URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03441222