Avant-propos
Abstract :
Avant-propos du volume
Though our smoke may hide the Heavens from your eyes, / It will vanish and the stars will shine again, / Because, for all our power and weight and size, / We are nothing more than children of your brain ! « The Secret of the Machines », Rudyard Kipling, 1911. Dans un monde où la plupart des enjeux, individuels et collectifs, sont désormais déterminés, d’une manière ou d’une autre, par la science et la technologie, il est paradoxal que la culture scientifique régresse : beaucoup de “littéraires” renoncent ainsi à s’approprier leur part du patrimoine culturel commun. Ce n’est assurément pas le cas des auteurs de science-fiction. Comme son nom même le revendique, le genre constitue un vecteur efficace des images de la science et de la culture scientifique. Pour nombre de nos contemporains, c’est même pratiquement le seul, souvent relayé par la télévision et le cinéma : des millions de fans discutent à l’infini sur la “physique” de Star Trek ; le thème musical de Star Wars est universellement reconnu, et la cybernétique est bien plus largement associée à Isaac Asimov qu’à Léon Brillouin et Norbert Wiener. Il est donc essentiel de comprendre les mécanismes à l’œuvre, aussi bien en termes sociologiques (quelles images, quels mots de la science et de ses méthodes la science-fiction transmet-elle au grand public ?) que pédagogiques (quelles techniques narratives a-t-elle développées ?). Les démarches intellectuelles et créatives que la (meilleure) science-fiction a appris à induire chez ses lecteurs, de la “suspension d’incrédulité” au “dépaysement”, sont autant de stratégies leur permettant d’assimiler en quelques pages, souvent divertissantes, les enjeux complexes de sociétés futures ou extra-terrestres bien plus déroutantes a priori que le clonage ou les OGM, et d’expériences de pensée offrant un trait d’union entre sciences exactes et sciences sociales. Ces stratégies peuvent-elles être suscitées dans d’autres contextes, et constituer des outils efficaces pour appréhender le présent ? Ces questions transdisciplinaires sont, depuis les années soixante-dix, au cœur de “SF studies” faisant figure de spécialité académique à part entière dans les universités anglo-saxonnes, mais encore balbutiantes en France, où la science-fiction a longtemps été cantonnée par l’Université au rang de paralittérature. La récente multiplication d’événements académiques (Pour ne citer que les principaux : Décades de Cerisy 2003 (dir. R. Bozzetto), 2006 (dir. F. Berthelot & Ph. Clermont) & 2009 (dir. D. André, D. Tron & A. Villers), Ve Colloque international de science-fiction de Nice (2005, dir. U. Bellagamba, J.-L. Gautero, É. Picholle, D. Terrel & A. Villers), “Mois de la SF” à l’ENS Paris (2006, dir. S. Allouche, S. Bréan & M. Murat).) et de thèses portant sur la science-fiction, dans toutes les disciplines (philosophie, littérature comparée et anglais en particulier, mais aussi sociologie, études cinématographiques, didactique des sciences, psychologie clinique, etc.) démontrent que ce retard français est en train de se combler. L’ambition des Journées Sciences & Fictions est d’accompagner la formation de cette jeune communauté française de recherches sur la science-fiction, en lui offrant un rendez-vous périodique permettant à ses membres confirmés de se retrouver dans le cadre authentiquement interdisciplinaire indispensable à ce domaine transversal ; et aux plus jeunes de dépasser le sentiment de marginalité et d’isolement qu’ils éprouvent encore trop souvent. Les Journées Interdisciplinaires Sciences & Fictions constituent en outre un lieu de rencontre entre “littéraires”, spécialistes de la science-fiction et de ses discours, et “scientifiques” conscients de l’importance de cet outil pour la communication scientifique en direction du grand public, et des jeunes en particulier, avec la participation d’écrivains. Les langues de travail sont le français et l’anglais. Les journées sont organisées par l’Institut Robert Hooke de culture scientifique (dir. Pierre Coullet) de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, avec le soutien de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Conseil général des Alpes-Maritimes. Elles sont accueillies dans le village perché de Peyresq (Alpes-de-Haute-Provence), restauré et entretenu par l’association belge ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, et assurent désormais l’ouverture de la saison académique de ce “Foyer d’humanisme”. Les participants sont pris en charge de Nice à Nice : un car assure le transport vers Peyresq ; au village, un cuisinier et du personnel à demeure gèrent l’accueil avec gentillesse et brio. Loin des distractions et des sollicitations de la ville, les participants ont le temps d’apprendre à se connaître et de découvrir les complémentarités de leurs compétences respectives, en toute liberté intellectuelle : les Journées Sciences & Fictions sont ce qu’ils décident d’en faire.
Published : 2008
Citation
Ugo Bellagamba, Éric Picholle, « Avant-propos », Sciences & fictions, 2008. URL : https://shs.hal.science/halshs-03356988