Habitat et habitude dans le paysage
Emma Curty
Abstract :
International audience
Par un bref parcours dans la poésie de Philippe Jaccottet, et par des incursions dans celles de Lorand Gaspar et James Sacré -trois oeuvres contemporaines dans lesquelles l'immersion dans les espaces naturels est centrale -, cet article vise à montrer que l'habitat se construit par l'habitude, en opposant au passage dans l'espace, la répétition. Mots-clés : poésie ; paysage ; habiter ; corps ; mouvement Depuis les années 1950, et a fortiori depuis le tournant spatial et lyrique des années 1980, la poésie contemporaine manifeste le « désir d'une habitation de la terre et du monde qui soit séjour plus ''authentique'' 1 ». On sait ce que cette proposition de Jean-Claude Pinson doit à Martin Heidegger qui, à partir d'une lecture de Hölderlin, a invité à concevoir l'habitation comme « le trait fondamental de la condition humaine 2 », et la poésie comme « le "faire habiter'' originel 3 ». Qu'est-ce qu'habiter sinon avoir sa demeure dans un lieu, un espace habituellement choisi ? Le désir poétique contemporain traverse les murs circonscrits de la maison pour s'établir dans l'espace extérieur, le monde. Il se traduit par un retour à la nature, aux choses sensibles, aux figures de l'altérité et, de manière plus spécifique, par l'élection du paysage « comme un motif privilégié et comme un lieu de vie et de travail 4 ». Habiter revient donc, pour une partie de la poésie contemporaine, à susciter dans le monde réel, et à révéler dans la page, la rencontre d'un corps et d'un espace rendu familier par un contact assidu. Il s'agit, autrement dit, de refuser les distances, de défier l'extériorité, d'apprivoiser l'étrange dehors du monde pour s'enraciner tout entier en lui, comme le traduit ici Philippe Jaccottet :<p>Ne pas voir cela du dehors. Ce ne peut être un spectacle, c'est ce qui est réellement vécu, traversé, le secret où l'on habite, auquel on ne peut être extérieur. Quand on est dans le corps, au coeur du monde -non plus un regard, même quand on regarde, le regard est pris dedans. Prisonnier, alors seulement on vit, non pas quand on est détaché 5 .</p>
Published : 2025-03-15
Citation
Emma Curty, « Habitat et habitude dans le paysage », Loxias, 2025-03-15. URL : https://hal.science/hal-05021984